Alors, là, je dois avouer que ce livre est « bien fichu ». Sur la première de couverture, on voit une femme de dos, dans une robe à petits carreaux. L’effet est un peu suranné, je dois dire. Et très séduisant. Sans doute, aussi, en raison de la vision de sa nuque. Et puis je songe à la Sardaigne, aux Italiennes de ces îles. Au personnage de Madame, qui ne souhaite pas faire de son pays un parc à touristes et résiste avec sa petite maison d’hôtes. Oh le charme de ce ciel transparent, de cette mer couleur saphir et lapis-lazuli, falaises de granit or et argent !… Mon imaginaire fait le reste - aidé par la récente visite au Musée d’Orsay et ses expositions « Italiennes modèles » et « Voir l’Italie et mourir ». Et puis Madame, comme on la nomme, s’habille avec des robes qu’elle confectionne elle-même, à partir de nappes. Alors la robe en petits carreaux… Tout se brouille, se fond.
Pourtant, est-ce vraiment Madame, cette femme qui résiste aux promoteurs, sur cette première de couverture ? Elle nous tourne le dos, à l’image de ce personnage, femme à part, « grande et bête », généreuse et incomprise depuis son enfance. Elle nous tournerait le dos, mais son allure de jeune fille nous laisserait penser qu’il s’agit de la narratrice de ce court ouvrage. Narratrice adolescente, qui nous livre un semblant de journal, centré sur un événement, un personnage, dont la somme constitue finement une histoire, brodant sur des fils ténus d’informations, de sentiments, du passé. Elle nous indique où regarder, elle nous nous livre, avec un mélange de naïveté et d’assurance, sa vie. D’assurance et d’espérance. Pas une once de place pour la mièvrerie, où la candeur est synonyme de simplicité. Le souffle de Dieu plane dans son récit, comme le battement d’ailes, métaphore de son père disparu et qu’elle sait veiller sur elle, avec ces mouvements de rideaux, portés par les courants d’air… Les références au divin sont discrètes, parce que la magie n’a pas besoin d’être voyante pour se signaler. L’écriture de ce livre est d’ailleurs pudique sans être laconique, silencieuse plutôt que muette. L’ironie est précise et juste. Elle ne juge pas, elle témoigne dans ce petit coin de Paradis italien où se côtoie toute une galerie de personnages. Madame et ses rituels issus du tarot. Les voisins, avec la grand-mère râleuse et le fils aîné joueur de jazz. La famille de la narratrice, Grand-père et la tante spécialiste de Leibniz. Le blessé et son amie Gioia la Joie. Niki Niki le coq. Et puis les fantômes, l’ombre du père, les spectres du passé…
Dans ces voilages successifs à la délicate transparence, au désordre du monde rejeté répond inévitablement le désordre amoureux de Madame, sorte de putain honteuse, toujours laissée pour compte. Que l’Amour soit ce qui fait défaut dans ce livre, c’est un fait, mais la mélancolie n’attaque absolument pas le cœur du lecteur. Quelques larmes, peut-être, mais que l’écriture ne laisse pas couler. La liberté, promue par un certain nombre de personnages, est ce qui donne la force de continuer, voire d’enchaîner les salauds. C’est ce que l’on appelle aussi la dignité, et c’est ce qu’observe la narratrice, double de Madame. Dans ce semblant de journal - car, si cela en est, l’absence de repères temporels, nous donne l’impression d’être en dehors du temps – c’est en fin de compte l’humanité humble et misérable, fière et forte, qui se donne à lire. Et pour cette raison, je n’hésiterai pas à battre des mains pour ce Battement d’ailes si je ne détestais pas autant le bruit… Le tapotis du clavier, cousin de la plume, s’en est d’ailleurs chargé.
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