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samedi 9 mai 2009

Martin Page : "Comment je suis devenu stupide"


Chronique publiée sur BUZZ... littéraire, le 14 octobre 2008,
suivie de la critique de Laurence Biava

     Comment je suis devenu stupide. Quel drôle de titre ! Quelle drôle d’idée de roman ! Il me fait penser à Comment devenir parfait en trois jours de Stephen Manes, un ouvrage de littérature jeunesse. En fait, l’intrigue du premier livre publié par Martin Page est plutôt simple. Antoine, un jeune homme de 25 ans, pense que « l’intelligence rend malheureux, solitaire, pauvre, quand le déguisement de l’intelligence offre une immortalité de papier journal et l’admiration de ceux qui croient en ce qu’ils lisent. » Antoine décide alors de voyager dans la stupidité et de s’abrutir, même s’il écrit dans son cahier que cette « Odyssée personnelle » se transformera en « un hymne à l’intelligence ». Martin Page n’est quand même pas stupide ! Reste à définir cette intelligence secrète, élective, une fois les épreuves passées. Peut-être justifiera-t-elle cette citation de Full Metal Jacket : « Je suis dans un monde de merde, mais je suis encore vivant et je n’ai pas peur. » 

     Mais avant de se résoudre, d’une certaine manière, à se lobotomiser, Antoine décide de devenir alcoolique parce que c’est une maladie plus honorable que l’intelligence ; d’après lui, plus socialement acceptée. Cette tentative se révèle être un échec : Antoine tomba « en plein coma éthylique » alors que « son verre de bière était encore à moitié plein. » Cela me rappelle le suicide raté et hilarant du héros Hector, dans Le potentiel érotique de David Foenkinos… En parlant de suicide, tiens donc, c’est ce que souhaite aussi accomplir Antoine, puisque sa vie n’est plus « qu’infinie torture.» Et là, il faut évoquer rapidement ce livre de Martin Page, Une parfaite journée parfaite, publié aux éditions Mutine, où le héros ne songe qu’à mettre fin à ces jours, en lardant férocement le genre humain. Livre qui a des qualités, mais dont le propos est trop amer pour ne pas être pesant. 

     Antoine veut « croire en la politique, acheter des beaux vêtements, suivre les événements sportifs, rêver du dernier modèle de voiture ». Il veut « être comme les autres », vivre « parmi eux, partager les mêmes choses », tout en avouant cependant qu’« une certaine asocialité [lui] semble toujours la chose la plus normale du monde ». Cette « asociabilité » est récurrente dans les récits de Martin Page, même si la misère des personnages est rendue légère et follement amusante. C’est la conséquence de son style « détaché » :
« Antoine ne se sentait pas l’âme d’un voleur, il n’avait pas assez de légèreté pour ça, aussi il prélevait seulement ce dont il avait besoin : une noisette de shampoing pressée discrètement dans une petite boîte à bonbons (…) ; prélevant sa dîme, il picorait ainsi quotidiennement dans les grands magasins et les supermarchés. De même, n’ayant pas assez d’argent pour acheter tous les livres qu’il désirait, et ayant observé l’acuité des vigiles et la sensibilité des portiques de sécurité de la FNAC, il volait les livres page après page et les reconstituait ensuite à l’abri dans son appartement comme un éditeur clandestin. » 
     Antoine va alors devenir un « connard », un « grippe-sou, égoïste, sans autre souci que l’argent, sans autre tourment et grande question existentielle que la façon d’en gagner le plus possible. » Et prendre de l’Heurozac ! Bien sûr, cette facile opposition bonheur véritable/bonheur dû à l’argent tourne un peu à la caricature avec cet épisode où Antoine travaille pour Raphaël, un ancien camarade qui a créé une société de courtage. Antoine s’embourbe dans le capitalisme, d’où une réflexion sur le sexe et sa libération, qui n’est pas sans rappeler Extension du domaine de la lutte de Michel Houellebecq. 

     Mais il faut bien qu’Antoine rencontre sa Clémence, dans la rue. Par hasard. Et c’est ça, finalement, l’intelligence louée et enfin acceptée par Antoine : l’esprit d’aventure.
Le merveilleux quotidien surréaliste trouve dans cet amour de quoi naître et renaître sans cesse. Le dialogue entre Clémence et Antoine a cette grâce, cette théâtralité qui donne à la fiction l’horizon dont le lecteur a besoin et qu’il oublie parfois : vivre. On peut alors comprendre le titre Comment je suis devenu stupide d’une manière différente. La stupidité ne correspond pas à la fuite d’Antoine pour ne plus être malheureux. Elle est la condition pour être heureux. Il faut en quelque sorte se faire idiot. Heureux les simples d’esprit, n’est-ce pas ? Pas ceux qui font preuve de bêtise, bien sûr. Les simples d’esprit, eux, ne savent jamais rien, tout leur semble nouveau et unique. Beau. Et cette naïveté dans l’instant est la condition d’une perpétuelle reverdie, d’un émerveillement incessant. 

     Réfléchir juste un peu et comprendre ce qu’il faut pour aller au-delà des apparences, des clichés ou des caricatures. 
Comment je suis devenu stupide est un récit d’initiation, certes, mais surtout au cheminement dialectique. L’apprentissage d’Antoine passe par un rejet de ce qu’il est alors qu’il possède en lui le filon du bonheur. Il épuisera peu à peu cette tentation de devenir autre et accédera ainsi à lui-même, dans la réunion du « je suis » avec « ce qui est » comme l’écrit Michael Edwards, professeur au collège de France, dans son essai De l’émerveillement

     Cette belle joie, cet air de fête qui clôt ce récit m’a donné envie de lire quelques-uns de ses autres ouvrages. J’ai été un peu déçu. Il est parfois difficile de ne pas être déçu après une première rencontre, qu’elle soit littéraire ou non d’ailleurs, aussi je n’étais pas très objectif. Ne pas trop avoir d’attente, en somme. Voici cependant ce que je peux en dire, rapidement, avec le recul. On s’habitue aux fins du monde est un roman plus intéressant peut-être que Comment je suis devenu stupide, parce que ce dernier joue trop peut-être sur le motif de la stupidité et sur le rejet du mode de vie des autres. On s’habitue aux fins du monde est plus long, plus dense, plus romanesque aussi. La libellule de ses huit ans a quant à lui la particularité d’avoir pour personnage principal une jeune femme, Fio, ce qui n’est pas courant chez Martin Page. L’univers du récit est celui de la création picturale et du marché de l’art, mais Martin Page cherche toujours à équilibrer son héroïne.

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