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mercredi 28 octobre 2009

"La délicatesse" ou l'histoire d'un baiser sans importance



L’héroïsme est peu de chose, le bonheur est plus difficile. Camus

Markus pensa : « C’est le plus beau lavage de mains de ma vie. » Et moi je dis que c’est pour ce genre de phrase que nous aimons définitivement les livres de David Foenkinos. Ce mélange de naïveté et d’humour nous enchante. Il participe à cette surprise permanente sentie à chaque lecture, à cette tendresse éprouvée pour les personnages dès son premier roman.

Dans son dernier livre, La délicatesse, encore en course pour le prix Interallié, on retrouve cette vivacité dans l’écriture, ce côté décalé qui nous fait parfois penser à Boris Vian. On se pose la question suivante : mais où va-t-il chercher ça ?... David Foenkinos est bon pour les résumés aux conséquences comiques, pour les mots d’esprits et les clin d’oeils, les sentences à propos de ses personnages à la vie si singulière, au caractère si prosaïque. Ces personnages n’ont en effet rien d’héroïque, ils sont tous de la trempe d’Hector, ratant son suicide dans le métro parisien… (Le potentiel érotique de ma femme : quel incipit !) Et pourtant, quel romanesque ! Quelle maladresse, quel désarroi ! Autant de tentatives pour dire, peut-être, l’atermoiement de nos directions, les nuances de nos vies. L’errance, d’une certaine manière, la quête d’une certitude.

J’ai lu tous les romans de David Foenkinos, et je trouvais que le précédent, Nos séparations, était le plus réussi. Pourquoi, je ne sais pas, si je l’ai su un jour. Il était peut-être plus réel que les autres, moins « loufoque », dans le ton comme dans l’histoire. Plus consistant et plus lisse. La délicatesse prend sa suite avec brio… Et accentue encore la courbe noire que l’auteur semble vouloir donner à son œuvre depuis quelques temps. Je trouve qu’il y est parvenu, alternant efficacement les passages drôles et les passages profonds, sérieux. Graves. Oui, dans ce roman, plusieurs pages sans sourire, plusieurs pages d’une vraie émotion. A la suite, s’il vous plaît. Que faut-il d’autre pour toucher le vrai qu’insérer la mort et le deuil ? Je ne crois pas que ce thème ait été abordé, auparavant. Pas frontalement, pas violemment. Bien sûr, la disparition d’une idée littéraire : mais on lui court après, on souhaite la retrouver (Qui se souvient de David Foenkinos ?) ; et puis on se quitte et on se retrouve, et on se quitte encore pour se retrouver une nouvelle fois (Nos séparations). Tout de même : le virage était pris depuis En cas de bonheur. Avec ce dernier livre, c’est différent. Tout l’enjeu est là. Le thème est bien sûr amoureux, mais le propos est plus grave : Nathalie perd son mari, François.

"Elle passait aussi à l’endroit où son mari avait été renversé. Où, courant en short, avec de la musique dans les oreilles, il avait traversé si maladroitement. Son ultime maladresse. Elle se mettait au bord de la chaussée, et observait le passage des voitures. Pourquoi ne se tuerait-elle pas au même endroit ? Pourquoi ne pas mélanger les traces de leurs sangs dans une union morbide ? Elle restait longtemps, sans savoir quoi faire, des larmes dérapant sur son visage. C’était surtout dans les premiers temps, après l’enterrement, qu’elle revient à cet endroit. Elle ne savait pas pourquoi elle avait besoin de se faire si mal. C’était absurde d’être là, absurde de vouloir rendre ainsi concrète la mort de son mari. Peut-être qu’au fond il s’agissait de la seule solution ? Sait-on comment survivre à un tel drame ?"

L’extrait est un peu long, mais il se termine comme il faut. Par l’inscription de la tragédie et de ses conséquences dans la vie de Nathalie. Toute l’habileté de l’auteur consiste à traiter avec beaucoup de douceur ce deuil, de le laisser exister, et de faire exister encore le disparu, lui conservant sa place, lui laissant sa valeur. Premier signe de cette délicatesse, promise par le titre… Qu'appelle-t-on "le bon moment" ?...

Il est toujours difficile de parler d’un livre de manière approfondie sans trop le dévoiler, aussi suis-je bien content de voir sur la quatrième de couverture : « C’est l’histoire d’une femme qui va être surprise par un homme. Réellement surprise. » Et cet homme, c’est Markus, un suédois, tout sauf grossier. Délicat plutôt que vulgaire… En même temps, cette quatrième de couverture nous laisse supposer que la surprise sera bonne et durera jusqu’à la dernière ligne. Non, David Foenkinos est toujours dans le happy end. A quoi vous attendez-vous ? L’essentiel est de surcroît ailleurs, dans le chemin, dans cette maturation, dont l’impalpable a cette grâce et ce charme qui rendent ce roman touchant. Touchant sans effusion. D’un beau mauve.

Ce qui nous touche, c’est l’apparition des sentiments, leurs circonvolutions. On glisse d’un personnage à un autre, on accède à leurs pensées, on suit leur immersion. On assiste à l’éclosion du désir, soumise parfois à l’illusion, aux nécessaires et laborieuses actions de la conquête. Si David Foenkinos met en avant la surprise, il lui laisse le temps de se déployer, de rosir sa corolle. L’éloge du temps, peut-être. C'est ça, une certaine mélancolie, un ralentissement. Prendre du temps, son temps, le temps qu'il faut. Acquérir de l'épaisseur, de la consistance après le drame. Ne pas mettre une main trop rapidement sur un genou, en somme.

Et je me souviens de l’épigraphe du roman : « Je ne saurais me réconcilier avec les choses, chaque instant dût-il s’arracher au temps pour me donner un baiser. » Et je pense encore à Camus, dans Lettres à un ami allemand : « Le bonheur est la plus grande des conquêtes, celle qu'on fait contre le destin qui nous est imposé. » La vie, en dépit de ses arrêts ou de ses errances, n’a qu’une seule direction. Il faut se faire philosophe.

A chaque roman, on avait l’habitude d’avoir des clins d’oeils aux romans antérieurs. Ici, à côté de ces listes qui cassent et complètent la narration de manière rafraîchissante (« Distance entre Paris et Moscou », « Exemples de dictons ridicules que les gens adorent répéter », « Extrait de la posologie du Guronsan »…), on retrouve Genève, les pieds, la molesse, les deux Polonais… Mais nos Polonais sont, soulignons-le, deux philosophes et l’attrait de la Suisse est remplacé par la Suède. Est-ce à dire que la neutralité disparaît au profit d’une certaine rudesse, contre laquelle la délicatesse s’essayera ? Rudesse du climat, absurdité de la mort… l’histoire de ces vies n’apparaît-elle pas aussi concrètement que nous sont contemporaines les références aux atermoiements du PS en 2008, par exemple ?...

Il y aurait beaucoup à dire, sans doute, sur cet ouvrage, mais je n’ai que trop glosé. Je ne souhaite garder que cette couleur et ce titre. Et la chaleur de l’histoire de Nathalie et Markus…

Pour toutes ces raisons, je ne vois aucune objection à ce que ce livre obtienne le prix Interallié. Et puis, comme un livre sur deux (publiés chez Gallimard) voit David Foenkinos primé et que celui-ci est son sixième, l’affaire semble donc arithmétiquement entendue. Une bonne chose de réglée.

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