Littératures
- Gwenaël Jeannin
- Mélange de chroniques et de textes, ce qui revient un peu au même, d'ailleurs.
vendredi 18 décembre 2009
Arto Paasilinna a écrit dans "Petits suicides entre amis" :
mercredi 16 décembre 2009
mardi 15 décembre 2009
"Les Peupliers effervescents" ou le trouble de la création, Philippe Paulino
Ce blog a décidé de s'associer à un projet ambitieux : chroniquer l'ensemble des sites de la rentrée littéraire ! Vous retrouverez donc aussi cette chronique sur le site Chroniques de la rentrée littéraire qui regroupe l'ensemble des chroniques réalisées dans le cadre de l'opération. Pour en savoir plus c'est ici.
Les Peupliers effervescents. C’est un beau titre et la première de couverture de ce livre, publié par la maison d’éditions L’Age d’Homme, est ornée d’un tout aussi beau dessin de Pier Francesco Mola : L’Ange apparaissant à Agar et Ismaël. Son auteur, Philippe Paulino est psychiatre de formation, ce qu’il n’est pas inutile de savoir et qui semble évident à la lecture de ce premier roman. A vrai dire, ce jeune auteur n’est pas si jeune. Premièrement, parce qu’il est né en 1954. Deuxièmement, parce qu’il a publié des poèmes dans les années 1970… et a joué dans des pièces de théâtre comme, si on fait confiance à Wikipedia, La Ville dont le prince est un enfant de Montherlant. La création, il connaît.
Les Peupliers effervescents est un récit trouble, qui m’a laissé dans la confusion. En premier lieu parce que la narration est multiple et qu’elle reste énigmatique. Oh ! Bien sûr, on a bien compris que le personnage principal, Gabriel, est le fil rouge, pour ne pas dire « directeur » de ce roman. Il doit faire convoyer sa carlingue de Super-Constellation et il attend Lisa. Bon, évidemment, on a Gabriel, on a la grotte, viendra bientôt la référence des trois rois mages. Si l’Annonciation et l’avènement de Jésus n’ont pas maille à l’affaire, c’est à n’y rien comprendre. Non, le plus dérangeant est cette notion ou ce « concept » de dispositif, véritable gimmick du roman, dont le côté construit, posé et contraignant m’a parfois échappé. Tout simplement parce qu’un « dispositif » tend à un résultat, n’est qu’une élaboration afin de capturer, de saisir. Et que je n’avais jamais considéré la vie sous cet angle, comme un immense réseau de dispositifs, géré par des artificiers : dans le but de jouir d’une beauté quelconque, non pas banale cependant, mais à chaque fois unique, car - peut-être - insaisissable ou « surprenante ». Créer un dispositif serait, somme toute, se tendre un piège, mais un piège qui n’aurait rien d’un piège. Un filet à papillons, en quelque sorte. Il n’est pas étonnant de lire « ce qui reste du dispositif précédant, c’est l’ignorance de Lisa face à ce qui l’attend » ou « le Noir conçoit le dispositif comme un rite », tout en considérant que ce dispositif « c’est un rite mais c’est autre chose qu’un rite, et probablement beaucoup plus important qu’un rite. » On a l’intuition d’un Sacré, Sacré qui a besoin d’un corps, d’un dispositif dans lequel il se coule et existe et qu’il dépasse sans pour autant craquer les coutures.
Ceci compris, laissons-nous porter par les histoires, celles qui mettent en jeu des dispositifs, des artistes, des créateurs, des découvreurs.
1) Marcel Duchamp et son Grand verre.
2) Thérèse dont la rencontre avec le Marcello de La Dolce Vita lui fera penser « le plus important est ailleurs et le plus important est à venir. »
3) le photographe Clérambault dont les photos ne promettent pas tant un catalogue vestimentaire, au propos sociologique, mais plus essentiellement la compréhension d’un langage, d’un Verbe incarné dans un drapé, une courbe, une contre courbe, calligraphie arabe qui supplée le silence des bédouins. Il s’agit de voir l’Invisible.
4) Jean de Delft qui annonce à sa femme qu’il peindra ce qu’on ne voit pas.
5) François, Olivier et la captation du « son pur », dont la vibration dépend de la « généalogie du lieu ».
6) Gil Eanes, le navigateur portugais.
Evidemment, tous ces récits, qui reviennent et se croisent, fonctionnent ensemble, permettent au roman de Philippe Paulino d’exister, de mettre à jour l’à-peu-près des créateurs et leurs non-dits, pour se rejoindre enfin, par-delà les époques, dans le départ de Lisa.
Ce qu’il y a entre les lignes est sans doute l’essentiel, ce qui se dévoile en se cachant, ce qui se cache en se montrant… Ce qui est, dans le tourbillon, déplacé et affleure à la surface de l’eau, mouvance rapide et non maîtrisée. Ouvert, comme l’est Le Grand verre pour Octavio Paz qui compare cette œuvre à la poétique de Mallarmé : « Sagesse et liberté, vide et indifférence se résolvent en un mot : pureté. Une chose que l’on ne recherche pas, qui surgit spontanément après qu’on est passé par certaines expériences ; la pureté est ce qui reste après tous les comptes, toutes les additions et les soustractions. Igitur se termine par ces mots : Le Néant parti, reste le château de la pureté. » (« Le château de la pureté », in Marcel Duchamp : l’Apparence mise à nu)
Lacan, cité dans l’exergue, ne nous dira pas autre chose : « l’essentiel du langage n’a jamais été la fonction de communication. » Et sa référence (puisque Lacan, disciple de Clérambault, est un personnage du roman) à L’Origine du monde de Courbet n’est pas anodine.
Les Peupliers effervescents est un roman éclaté et un peu « abstrait », volontiers élitiste. Nous apprécions ses références savantes, mais nous conseillons de le lire en étant en pleine forme, afin de mieux comprendre le rôle de Gabriel et de la « Compagnie ». C’est un roman qui nous conte, une nouvelle fois, l’Art et son avènement : son degré d’incertitude, le rapport du créateur à sa Création. Peuplier effervescent…
lundi 30 novembre 2009
Antoine Blondin a écrit dans " L'Europe buissonnière" :
Passé huit heures du soir, les héros de roman ne courent pas les rues dans le quartier des Invalides.
samedi 28 novembre 2009
Eric Chevillard a écrit dans "En territoire cheyenne"
Les pierres alignées de Carnac m’ont mené droit au Petit Poucet, lequel n’est d’ailleurs pas si petit que le prétend le conte.
vendredi 27 novembre 2009
"Flexible Hop Hop !" d'Emmanuel Darley
Flexible Hop Hop !, d’Emmanuel Darley, est une pièce déroutante par l’écriture laconique, brute. Elle déroule la vie d’une entreprise déjà à la dérive et de ses salariés qui le seront bientôt : Interklang. Vous ne connaissez pas ? Mais si ; cette entreprise est pareille aux autres, avec ses économies au détriment des employés, ses délocalisations…
Mise en scène par Paule Groleau, une chorégraphe, et Patrick Sueur, cette pièce est d’une grande efficacité pour dénoncer l’employé-machine, véritable objet dans les mains des patrons, soumis aux contraintes économiques. Détruire des vies pour survivre.
Cette danse des employés, on embauche, on débauche, les jeunes, les vieux, les formés, les inexpérimentés, les femmes, l’asiatique bon marché… est une danse macabre, une danse funèbre qui n’émeut pas le Politique, l’homme qui inaugure un musée dans les murs de l’entreprise vide. Requiem pour le souvenir.
Le personnage qui m’a le plus plu, c’est Brigitte, sorte de secrétaire, en charge des ressources humaines, maillon fort de ce système faible. Vêtue de rose, sa première apparition est diablement chorégraphiée. Ambiance jeu vidéo. Ensuite, évidemment sexy sur sa chaise ou sur ses longues jambes, Brigitte joue avec talent de sa voix et de ses inflexions, afin de « servir » au mieux, avec toute l’ambiguïté de sa position, l’entreprise Interklang. Séduction du serpent.
Herta Müller a écrit dans "L'homme est un grand faisan sur terre" :
L’évêque avait écrit une lettre au curé. En latin. Le curé du haut de la chaire lut la lettre. A cause du latin, la chaire semblait plus haute.
dimanche 22 novembre 2009
Surprise de taille
Je passe une fois en voiture. Ils sont comme postés, ces hommes à l’écharpe orange. S’occupent-ils des arbres, des broussailles ? L’endroit est boisé. Vive les hommes de la DDE.
Je passe une seconde fois, en voiture, un peu moins pressé puisque le chargement s’est effectué comme prévu. Les hommes sont toujours là. Ils attendent, ils guettent. Ils sont aux abois, un fusil - dans la main ou le long du corps - se détache. Je n’en reviens pas.
Des chasseurs.
On est pourtant aux portes de la ville.
Eric-Emmanuel Schmitt : "Odette Toulemonde"
Sommé de lire relativement vite son recueil d'histoires, entre le café et le dîner, à la lecture des deux premières nouvelles, je me suis ennuyé. Puis, avec surprise « L’intruse » vint, d’autres suivirent, et les dernières nouvelles, jusqu’à Odette, m’ont permis de ne pas sortir du volume avec amertume – et aigreur. Sans que cela soit extraordinaire, la vie quotidienne de ses personnages, de ces héros, a touché l’être que je suis. Il a saisi avec justesse la douleur et la détresse, et a su la dire avec authenticité. Sinon, je ne sais plus.
Giacomo Leopardi a écrit dans "pensées" :
Il n’est au monde rien de plus rare qu’une personne que l’on peut supporter tous les jours.
"Le dernier homme qui parlait catalan", Carles Casajuana
« Le vieux doit être un résistant, pas un collaborateur.»
Lu grâce à Blog-O-Book et chroniqué pour Blog-O-Book
Je me représente l’auteur du Dernier homme qui parlait catalan comme une sorte de Dominique de Villepin espagnol. Vous savez, l’homme qui affronta les Etats-Unis en rejetant avec brio et panache toute guerre contre l’Irak, à l’O.N.U. en 2003. Pour trois raisons. Premièrement, parce que notre écrivain espagnol est un diplomate. Deuxièmement, parce que son nom claque : Carles Casajuana. Troisièmement, parce que le titre a la saveur du Dernier des Mohicans de Fenimore Cooper ; dont le désenchantement ne doit pas réduire en silence l’héroïsme : il y a, bel et bien, une résistance catalane contre l’impérialisme castillan dans le roman qui nous intéresse. C’est même la problématique essentielle du livre. La langue catalane, l’âme d’un pays. Une identité.
Ramón Balaguer est un écrivain qui refuse de quitter son immeuble dont tous les appartements ont été achetés par Soteras. Comme Balaguer contrarie fortement le projet de rénovation de Soteras, ce dernier coupe le gaz et ne répare pas l’ascenseur, tombé étrangement en panne. Il a tous les droits, il est « majoritaire » au Syndic. Balaguer s’accroche à son appartement, à son immeuble, à son quartier qu’il connaît depuis vingt ans.
« L’odeur de cuir du cordonnier du coin se mêle à celle d’urine et de moisissure des cours intérieures et aux effluves humides des murs des immeubles délabrés. Il lui semble que ce mélange d’odeurs définit le quartier : un quartier d’artisans, d’ouvriers, de petits commerçants, de gens simples, vaincus sans le savoir (ou qui le savent, allez savoir), abandonné au centre de la ville. Combien de temps vont-ils résister, si on commence à restaurer les maisons ? Ne vont-ils pas devoir émigrer, comme les oiseaux des forêts quand on construit une autoroute ? »
Cette grammaire géographique et identitaire n’est pas anodine, Balaguer est un écrivain, et un écrivain de culture et de pensée catalanes qui s’exprime en castillan. Se pose alors la délicate question de son ambivalence et la rognure de ses origines. Le différend avec Soteras est l’écho, rendu matériel, de la réflexion sur la dissolution du catalan : « Comment est-il possible que l’on ne conserve pas un seul vestige d’une langue qui fut celle de ces lieux pendant plus de mille ans ?» L’histoire de Balaguer est celle d’une expulsion, et le roman de Casujuana une défense et illustration de la langue catalane. En effet, ce roman, qui a remporté le prix Ramon-Llull 2009, est traduit du catalan. Ce qui nous semble somme toute logique.
Le côté Janus de Balaguer sera interrogé par un écrivain de contrebande, Miquel Rovira, qui squatte l’immeuble, et dont les mystérieuses cigarettes et les improbables pots de yaourt, sur le palier du deuxième, alertent Balaguer et le lecteur dès la première ligne. C’est d’ailleurs de Rovira que provient ma dernière citation. Dans son roman, il met en scène un américain qui part à la recherche du dernier homme qui parlait catalan. Nous suivons pas à pas les ratures, les atermoiements, les réflexions de Rovira, tant sur l’acte d’écrire que sur le débat de fonds : la désaffection du catalan. Rovira se tient près de l’agonisante, même si la langue catalane, au moment où il écrit, n’est pas moribonde mais en perte de vitesse.
La rencontre entre ces deux écrivains catalans aux deux langues littéraires différents (vous aurez compris que Rovira écrit en catalan) est intéressante ne manque pas de piquant, car les chapitres, courts, alternent les points de vue. Le récit avance de cette manière, et cela donne un dynamisme qui est loin d’être désagréable. Les dialogues sont souvent tendus, parfois si brutaux que je ne les ai pas trouvés naturels.
Cette rivalité linguistique se poursuit lorsque Balaguer est introduit dans le cercle d’ami de Rovira. Il rencontrera Eugeni, mais aussi Rosa, la copine de Rovira, et Núria. Avec Eugeni, chaque rencontre, chaque discussion trouve sa pierre d’angle avec le catalan. C’est plus qu’une obsession, cela devient fanatique. Au cas où le lecteur n’aurait pas compris l’enjeu de ce livre, il vaut mieux en remettre une couche. Parfois, cela devint exaspérant. Mais bon, il faut bien que Rosa contraste avec Eugeni… Rivalité littéraire, rivalité amoureuse, la thématique du double est exploitée comme il se doit par Casajuana, et même plus !
Mais n’en disons pas trop, car le récit est construit comme une enquête, vaguement construit comme une enquête… On cherche à dire comment une langue meurt, comment écrire ce livre, ou écrire tout simplement ; on suit l’enquête de Balaguer sur ce fameux squatter : est-il à la solde de Soteras ?... On apprend peu à peu pourquoi il est vital pour Balaguer de terminer son roman dans son appartement et pourquoi il refuse le pont d’or que lui offre Soteras s’il coopère.
Ce roman est un portrait d’écrivain, entre résistance et bêtise, entre dignité et abandon. Il met en jeu la notion d’identité, de pays, au sens de tissu social et économique, et relie cette notion à celle de zone linguistique. La culture commune, c’est la langue, nous dit Casajuana ; et il est admirable que Balaguer ne comprenne pas justement, en écrivant castillan, qu’il est en porte-à-faux avec son désir de rester dans son quartier. Cette incohérence fonde le pessimisme du roman et la fin n’est pas des plus joyeuses, quand on sait que d’un côté on a la globalisation et de l’autre, en Europe, les vaines tentatives pour faire signer et respecter La Charte européenne des langues régionales ou minoritaires. Je n’en dis pas plus.
Ce roman est à lire pour sa construction, les questions qu’ils nous posent sur l’extinction d’une langue et d’une identité culturelle, pour ce qu’il nous dit de l’écrivain, de sa solitude ou de son amour-propre.
En tout cas, il en fait le dernier héraut d’une culture. Le dernier des Catalans, mais aussi des Français (on est en plein débat identitaire, ne l’oublions pas), sera vraisemblablement un écrivain, puisque la constitution d’un Etat va de pair avec une langue commune. Sans cette dernière, il n’y a plus rien de solide, et tout peut alors disparaître.
« A Barcelone, celui qui s’adapte à la langue de l’autre est toujours celui qui parle catalan. De façon lente mais inexorable, on finira par chasser le catalan des boutiques de la ville. Il n’y a pas besoin d’inventer quoi que ce soit. Le lecteur connaît bien le processus. Il suffit de le rendre visible, car tout le monde y est si habitué que plus personne n’y fait attention.»
Citations supplémentaires
- « J’aimerai bien que tu rencontres ma copine. »
- « Il doit admettre que le salaud a en partie raison. »
dimanche 8 novembre 2009
"De la délicatesse de goût et de passion", David Hume
David Foenkinos
1) Avec le personnage de Nathalie, il me semble qu’il y a une grande nouveauté dans votre parcours. C’est le personnage clef du roman et il apporte une tonalité plus rude à votre enjouement habituel. Pourquoi avoir justement pris une femme pour dire cette reconstruction douloureuse et calme :
C’est un livre plus grave que les autres oui. Je voulais depuis longtemps équilibrer entre l’humour et un fond plus réaliste, plus sérieux. J’avais envie de suivre le parcours sentimental d’une femme. Mais en même temps le livre parle aussi des hommes qui jalonnent sa vie.
2) Y a-t-il eu un élément déclencheur particulier pour ce roman ? Le quiproquo du baiser ? La disparition soudaine et absurde de François ?...
C’est la pulsion du baiser. Subitement, Nathalie embrasse… un Suédois !... C’était le point de départ. L’idée qu’en matière amoureuse, c’est le corps qui décide. Que Nathalie soit soumise à cette étrange pulsion sensuelle.
3) Vous sentez-vous plus capable d’écrire sur des sujets douloureux ? Est-ce un livre, comme un autre, ou sentez-vous que vous avez changé, que vous ne pourrez plus écrire Inversion de l’idiotie ou Entre les oreilles ?
Je ne pourrais plus écrire mes premiers livres c’est sûr !... Je crois qu’on évolue forcément. Et mon évolution me pousse vers moins de folie, plus de réalisme. Et plus de simplicité aussi.
4) A vous lire, on a parfois l’impression que votre écriture est primesautière, que vous saisissez ce qui vous saute à l’esprit... Comment écrivez-vous ? Et, seconde question, avez-vous des rituels particuliers quand vous écrivez ?
Le premier jet, oui. C’est vif, je suis mes idées. Mais après je retravaille beaucoup. Je coupe, je simplifie. J’écris le matin, avec des chaussons. Comme si j’étais en Suisse.
5) D’où vous viennent ces références aux pays, aux nationalités ?
J’aime bien m’amuser avec ça. Il y a toujours deux polonais dans mes livres. Mais là, c’est un livre complètement suédois. Une nation mi Bergman mi Ikéa, et je trouve que ça donne aussitôt une tonalité dépressive à cette sociéte.
6) Vous êtes encore en course pour le prix Interallié 2009. Vous avez déjà eu trois prix : prix François Mauriac, prix Roger Nimier, Prix Jean Giono. Quels ouvrages de ces auteurs appréciez-vous ?
Non, ce sont des auteurs que j’ai peu lu. Que je connais peu.
7) Etes-vous déjà sur un nouveau roman ? Sur une nouvelle pièce de théâtre
J’écris le scénario de la Délicatesse. Je publie en janvier une petite nouvelle intitulée « Bernard », l’histoire d’un homme de 50 ans qui retourne vivre chez ses parents. Ca sera publié dans une maison d’édition les Editions du Moteur. Une maison qui ne va publier que de courts textes destinés à être adapté au cinéma. Et puis en janvier il y aussi la sortie de Nos séparations en Folio.
8) Pouvez-vous nous parler de l’adaptation du Potentiel érotique de ma femme ?
Elle est arrêtée. Celle de Nos séparations avance. Normalement ( je l’espère !) c’est Yan Samuel qui fera le film. Le réalisateur de Jeux d’enfants. Et puis j’aimerais réaliser avec mon frère La délicatesse.
9) Quels sont les livres qui vous ont vraiment marqués depuis deux ans ?
10) Et pour terminer, aimez-vous les krisprolls ?
Non, même pas !... Mais j’espère que le livre sera traduit en Suédois, alors il faudra que je m’y mette.
Grégoire Polet a écrit dans " Excusez les fautes du copiste"
J’ai choisi mes études : l’art, section peinture. J’ai certainement mal choisi.
James Ensor et ses squelettes
Ah ! La Flandre ! Bruges-la-Morte, de Georges Rodenbach et James Ensor sont deux références culturelles du roman de Grégoire Polet : Excusez les fautes du copiste.
Et je trouve l’occasion franche d’exprimer ce qui suit sur les squelettes d’Ensor : je ne les trouve pas inhumains du tout. Aucun geste d’horreur ni de moue de dégoût. Rien de moins réel, en somme.
Et si j'avais de l'argent...
Pierre Péju a écrit dans "L'idiot de Shangai" :
L’homme, s’il est sage, est un voyageur qui s’étonne d’exister, qui s’interroge sur le chemin, ainsi que sur le terme et sur le sens du voyage.
"L'idiot de Shangai" et autres nouvelles des écrivains, Pierre Péju
Un écrivain à la découverte de la Chine, un écrivain qui fait mine d’écrire afin de mieux voir sa femme, un écrivain paralysé nommé Sherlock Holmes. Trois écrivains, trois enfermements, puisque le premier ne peut plus lire, le second se claquemure dans son cabinet, le troisième ne peut bouger. Trois dérélictions, trois folies… Sagesse, tragédie et humour noir sont au rendez-vous. Avec le plaisir de lire quelques perles ou conte de la pensée chinoise, de rencontrer un nouveau Barbe-Bleue ou de voir Watson et son Sherlock Holmes à l’œuvre...
"Les Funambules" ou l'épreuve du vent (Antoine Bello)
Chacune de ces nouvelles raconte une histoire extraordinaire : celle de Maximilien Zu, dont le dernier roman ne comptait que 89 mots et dont la trilogie fut réunie en un coffret de 4 pages ; celle de l'équilibriste Soltino, qui tendait son fil de plus en plus haut ; celle de l'astronaute Jim Mute, qui embarqua seul à bord d'une capsule vouée à tourner éternellement autour de Jupiter ; celle du sculpteur de mannequins Kreuzer, dont chaque œuvre rendait caduque la précédente ; celle de l'exégète Fiodor Sadarov, qui consacra sa vie à une lecture politique des écrits du joueur de quilles Igor Krybolski.
Cinq destins hors du commun, cinq funambules lancés à la poursuite d'une perfection inaccessible.
Voilà le résumé des Editions Gallimard. Cela m’évite de parler des histoires, des fabuleuses histoires devrais-je dire. Je me borne simplement, ici, à inciter mes quelques lecteurs à lire ce recueil, ce premier ouvrage d’Antoine Bello, lauréat du Prix de la Vocation Marcel Bleustein-Blanchet en 1996.
Avec ces récits, on pense parfois à Borgès, à Balzac, à Tournier : concision, narration, réflexion. On se laisse emporter par l’histoire, par son mystère, par la détresse et l’ambition des personnages. A la recherche de la perfection, peut-être. D’une stature, sans doute. De la dignité, d’une coïncidence avec soi-même, par-delà les railleries, les incompréhensions et les échecs. Dans les épreuves. Il faudrait donc faire sienne cette phrase de Jim Mute, dans « Go Ganymède ! » : « Arrive un moment, me dit-il, où les intérêts d’un astronaute et ceux de son employeur se rejoignent puis se confondent. Alors la vie d’un homme devient un paramètre modélisable, en l’occurrence important, mais non essentiel. »
vendredi 30 octobre 2009
mercredi 28 octobre 2009
Cauchemar
Cette nuit, j’ai rêvé qu’une plage se vidait, peu à peu, mais tout de même assez rapidement. Des ombres noires fuyaient. Quoi ? Je n’en sais rien. Je tournais le dos, peut-être, à la catastrophe… Perplexe, je songeais à les suivre quand soudain (ça arrive toujours ainsi) un bruit d’outre-tombe me réveilla. C’était les ouvriers d’à côté. Il était 7 h 54. Je croyais qu’ils ne devaient travailler qu’à partir de 8 h… Juste au moment où ça devenait angoissant. Je vous jure…
"La délicatesse" ou l'histoire d'un baiser sans importance
L’héroïsme est peu de chose, le bonheur est plus difficile. Camus
Markus pensa : « C’est le plus beau lavage de mains de ma vie. » Et moi je dis que c’est pour ce genre de phrase que nous aimons définitivement les livres de David Foenkinos. Ce mélange de naïveté et d’humour nous enchante. Il participe à cette surprise permanente sentie à chaque lecture, à cette tendresse éprouvée pour les personnages dès son premier roman.
Dans son dernier livre, La délicatesse, encore en course pour le prix Interallié, on retrouve cette vivacité dans l’écriture, ce côté décalé qui nous fait parfois penser à Boris Vian. On se pose la question suivante : mais où va-t-il chercher ça ?... David Foenkinos est bon pour les résumés aux conséquences comiques, pour les mots d’esprits et les clin d’oeils, les sentences à propos de ses personnages à la vie si singulière, au caractère si prosaïque. Ces personnages n’ont en effet rien d’héroïque, ils sont tous de la trempe d’Hector, ratant son suicide dans le métro parisien… (Le potentiel érotique de ma femme : quel incipit !) Et pourtant, quel romanesque ! Quelle maladresse, quel désarroi ! Autant de tentatives pour dire, peut-être, l’atermoiement de nos directions, les nuances de nos vies. L’errance, d’une certaine manière, la quête d’une certitude.
J’ai lu tous les romans de David Foenkinos, et je trouvais que le précédent, Nos séparations, était le plus réussi. Pourquoi, je ne sais pas, si je l’ai su un jour. Il était peut-être plus réel que les autres, moins « loufoque », dans le ton comme dans l’histoire. Plus consistant et plus lisse. La délicatesse prend sa suite avec brio… Et accentue encore la courbe noire que l’auteur semble vouloir donner à son œuvre depuis quelques temps. Je trouve qu’il y est parvenu, alternant efficacement les passages drôles et les passages profonds, sérieux. Graves. Oui, dans ce roman, plusieurs pages sans sourire, plusieurs pages d’une vraie émotion. A la suite, s’il vous plaît. Que faut-il d’autre pour toucher le vrai qu’insérer la mort et le deuil ? Je ne crois pas que ce thème ait été abordé, auparavant. Pas frontalement, pas violemment. Bien sûr, la disparition d’une idée littéraire : mais on lui court après, on souhaite la retrouver (Qui se souvient de David Foenkinos ?) ; et puis on se quitte et on se retrouve, et on se quitte encore pour se retrouver une nouvelle fois (Nos séparations). Tout de même : le virage était pris depuis En cas de bonheur. Avec ce dernier livre, c’est différent. Tout l’enjeu est là. Le thème est bien sûr amoureux, mais le propos est plus grave : Nathalie perd son mari, François.
"Elle passait aussi à l’endroit où son mari avait été renversé. Où, courant en short, avec de la musique dans les oreilles, il avait traversé si maladroitement. Son ultime maladresse. Elle se mettait au bord de la chaussée, et observait le passage des voitures. Pourquoi ne se tuerait-elle pas au même endroit ? Pourquoi ne pas mélanger les traces de leurs sangs dans une union morbide ? Elle restait longtemps, sans savoir quoi faire, des larmes dérapant sur son visage. C’était surtout dans les premiers temps, après l’enterrement, qu’elle revient à cet endroit. Elle ne savait pas pourquoi elle avait besoin de se faire si mal. C’était absurde d’être là, absurde de vouloir rendre ainsi concrète la mort de son mari. Peut-être qu’au fond il s’agissait de la seule solution ? Sait-on comment survivre à un tel drame ?"
L’extrait est un peu long, mais il se termine comme il faut. Par l’inscription de la tragédie et de ses conséquences dans la vie de Nathalie. Toute l’habileté de l’auteur consiste à traiter avec beaucoup de douceur ce deuil, de le laisser exister, et de faire exister encore le disparu, lui conservant sa place, lui laissant sa valeur. Premier signe de cette délicatesse, promise par le titre… Qu'appelle-t-on "le bon moment" ?...
Il est toujours difficile de parler d’un livre de manière approfondie sans trop le dévoiler, aussi suis-je bien content de voir sur la quatrième de couverture : « C’est l’histoire d’une femme qui va être surprise par un homme. Réellement surprise. » Et cet homme, c’est Markus, un suédois, tout sauf grossier. Délicat plutôt que vulgaire… En même temps, cette quatrième de couverture nous laisse supposer que la surprise sera bonne et durera jusqu’à la dernière ligne. Non, David Foenkinos est toujours dans le happy end. A quoi vous attendez-vous ? L’essentiel est de surcroît ailleurs, dans le chemin, dans cette maturation, dont l’impalpable a cette grâce et ce charme qui rendent ce roman touchant. Touchant sans effusion. D’un beau mauve.
Ce qui nous touche, c’est l’apparition des sentiments, leurs circonvolutions. On glisse d’un personnage à un autre, on accède à leurs pensées, on suit leur immersion. On assiste à l’éclosion du désir, soumise parfois à l’illusion, aux nécessaires et laborieuses actions de la conquête. Si David Foenkinos met en avant la surprise, il lui laisse le temps de se déployer, de rosir sa corolle. L’éloge du temps, peut-être. C'est ça, une certaine mélancolie, un ralentissement. Prendre du temps, son temps, le temps qu'il faut. Acquérir de l'épaisseur, de la consistance après le drame. Ne pas mettre une main trop rapidement sur un genou, en somme.
Et je me souviens de l’épigraphe du roman : « Je ne saurais me réconcilier avec les choses, chaque instant dût-il s’arracher au temps pour me donner un baiser. » Et je pense encore à Camus, dans Lettres à un ami allemand : « Le bonheur est la plus grande des conquêtes, celle qu'on fait contre le destin qui nous est imposé. » La vie, en dépit de ses arrêts ou de ses errances, n’a qu’une seule direction. Il faut se faire philosophe.
A chaque roman, on avait l’habitude d’avoir des clins d’oeils aux romans antérieurs. Ici, à côté de ces listes qui cassent et complètent la narration de manière rafraîchissante (« Distance entre Paris et Moscou », « Exemples de dictons ridicules que les gens adorent répéter », « Extrait de la posologie du Guronsan »…), on retrouve Genève, les pieds, la molesse, les deux Polonais… Mais nos Polonais sont, soulignons-le, deux philosophes et l’attrait de la Suisse est remplacé par la Suède. Est-ce à dire que la neutralité disparaît au profit d’une certaine rudesse, contre laquelle la délicatesse s’essayera ? Rudesse du climat, absurdité de la mort… l’histoire de ces vies n’apparaît-elle pas aussi concrètement que nous sont contemporaines les références aux atermoiements du PS en 2008, par exemple ?...
Il y aurait beaucoup à dire, sans doute, sur cet ouvrage, mais je n’ai que trop glosé. Je ne souhaite garder que cette couleur et ce titre. Et la chaleur de l’histoire de Nathalie et Markus…
Pour toutes ces raisons, je ne vois aucune objection à ce que ce livre obtienne le prix Interallié. Et puis, comme un livre sur deux (publiés chez Gallimard) voit David Foenkinos primé et que celui-ci est son sixième, l’affaire semble donc arithmétiquement entendue. Une bonne chose de réglée.